L'Âge d'or du rhum en Europe
Pendant plus de deux siècles, le rhum a tenu une place centrale dans les usages sociaux, médicaux, militaires et festifs de l'Europe. Importé massivement dès le XVIIe siècle depuis les colonies caribéennes, le rhum a d'abord été perçu comme un produit exotique réservé aux élites avant de devenir un alcool de masse. Retour sur cet âge d'or, entre salons aristocratiques et ponts de navires de guerre.
HISTOIRE ET CULTURE
5/5/20252 min read


Le rhum, boisson de prestige dans les salons européens
Au XVIIIe siècle, le rhum fait une entrée remarquée dans les cours européennes, notamment en Angleterre, en France et aux Pays-Bas. Il est d'abord consommé sous forme de punch, un mélange raffiné à base de rhum, d'épices, de sucre, de citron et parfois de thé. Importée d’Inde par les officiers de la Compagnie des Indes, cette boisson symbolise à la fois le raffinement et l’ouverture sur le monde colonial.
Le punch devient une boisson mondaine, servie dans des bols en porcelaine ou en argent, et dégustée dans les salons lors de réceptions. Il est considéré comme un marqueur de bon goût, apprécié pour son exotisme et sa complexité aromatique. En France, il est parfois concurrencé par les eaux-de-vie de vin, mais conserve un certain prestige dans les cercles proches des milieux maritimes et coloniaux.
L’usage militaire et médical : le grog des marins
C’est dans la marine britannique que le rhum trouve un usage tout à fait singulier. À partir de 1655, après la conquête de la Jamaïque, le rhum devient la ration officielle des marins de la Royal Navy, remplaçant peu à peu le brandy. La ration quotidienne est généralement diluée avec de l’eau chaude et parfois du jus de citron pour lutter contre le scorbut : c’est le fameux grog, nommé d’après l’amiral Edward Vernon (surnommé "Old Grog" en raison de son manteau en tissu grogram).
Cette boisson devient un symbole de la culture navale britannique, un rituel quotidien ancré dans la discipline militaire, mais aussi un facteur de cohésion à bord. Les marines espagnoles, françaises et hollandaises adoptent elles aussi l’usage du rhum, quoique dans des proportions et avec des politiques différentes.
La démocratisation du rhum et son rôle dans les révoltes
Au fil des siècles, la consommation de rhum dépasse les élites et les militaires pour gagner les classes populaires, notamment avec l’essor du commerce triangulaire et la chute des prix. On le retrouve dans les tavernes, les ports, les campagnes, parfois coupé ou frelaté. En Angleterre et dans les colonies, il est souvent perçu comme un alcool du peuple, associé à la rébellion, à la piraterie, mais aussi à certaines révoltes sociales.
Dans les Antilles françaises, comme en Haïti ou en Martinique, le rhum devient un élément central de la culture locale, mais aussi un outil de résistance. Il est utilisé dans les rituels religieux, dans les fêtes clandestines d’esclaves, et parfois comme monnaie d’échange.
Une boisson aux multiples visages
De boisson aristocratique à ration militaire, de symbole de prestige à marqueur populaire, le rhum a traversé l’Europe avec une étonnante plasticité sociale. Son âge d’or entre le XVIIe et le XIXe siècle révèle bien plus qu’un goût pour l’exotisme : il parle de colonisation, d’échanges commerciaux, de conflits, de plaisir, mais aussi de pouvoir. Aujourd’hui encore, les héritages de cette période se retrouvent dans nos usages, nos recettes et nos imaginaires.
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