Étymologie de la Guildive
HISTOIRE ET CULTURE
La Guildive : aux origines créoles du rhum agricole
Le mot Guildive est un ancien terme créole désignant ce que nous appelons aujourd’hui le rhum agricole. Il provient de la créolisation et de la francisation phonétique de l’expression anglaise Kill Devil, littéralement « tuer le diable ». Ce terme est apparu pour la première fois dans des documents datant de 1650 à la Barbade, où l’on désignait ainsi un alcool de canne utilisé comme remède médicinal dans les Antilles britanniques.
Ce breuvage puissant, distillé à partir du jus de canne à sucre, était réputé pour ses vertus curatives, capable – dit-on – de chasser la maladie… autrement dit, de « tuer le diable » ! Très alcoolisé et aromatique, le Kill Devil allait bientôt se répandre dans toute la Caraïbe.
La version francisée, Guildive, serait apparue à Marie-Galante, cette petite île rattachée à la Guadeloupe, encore aujourd’hui haut lieu de la production de rhum traditionnel. Île longtemps disputée entre Français et Anglais, Marie-Galante a vu émerger ce mot dans le parler local. Le Père Labat, missionnaire dominicain et chroniqueur du XVIIe siècle, en atteste dans son célèbre Nouveau voyage aux îles françoises de l'Amérique (1722) :
« L’eau-de-vie qu’on tire des cannes est appelée Guildive, les sauvages et les nègres l’appellent tafia. »
Guildive et mer : de la cale des navires aux tavernes de port
Dès le XVIIe siècle, la Guildive circule dans les cales des navires marchands, militaires et pirates. Elle est utilisée pour purifier l’eau, apaiser les douleurs, récompenser l’équipage. Sur les vaisseaux de la marine ou de la flibuste, on la boit coupée d’eau, d’agrumes, d’épices — prémices du grog.
La Guildive devient alors symbole de camaraderie autant que de perdition, une présence constante dans la vie maritime. Elle circule dans les ports de Nassau, de Saint-Domingue, de Brest à La Rochelle, traverse l’océan et s’installe dans l’imaginaire collectif.
Rhum et pirates : pactes, mutineries et légendes
La littérature ne s’y est pas trompée : le rhum — et donc la guildive — devient le carburant des aventures maritimes. Dans L’Île au trésor de Stevenson, Long John Silver en boit à la santé de la mutinerie. Chez Exquemelin, le rhum scelle les pactes entre flibustiers. Il accompagne les exactions, les fêtes, les trahisons. Il devient symbole de liberté mais aussi d’excès.
La Guildive, boisson rude et populaire, colle à la peau des pirates, esclaves en fuite, contrebandiers. Elle est un fil rouge dans l’histoire trouble des colonies.
Une figure littéraire et culturelle persistante
Au-delà des récits de pirates, la guildive est aussi présente dans la littérature coloniale et post-coloniale :
Chez Patrick Chamoiseau, le rhum évoque la mémoire douloureuse des ancêtres, le lien à la terre.
Chez Aimé Césaire, il devient le reflet d’un peuple fracassé mais debout.
Dans les contes créoles, le clairin et la guildive apparaissent comme des objets rituels, magiques, souvent ambivalents.
La guildive est ainsi une boisson-mémoire, un concentré d’histoire liquide.
Grogue, cachaça, tafia : des cousins du même tronc
Partout où la canne a été cultivée sous colonisation, des spiritueux similaires sont apparus :
Le grogue du Cap-Vert, brut et sec.
Le clairin d’Haïti, encore produit dans des guildiveries artisanales.
La cachaça du Brésil, issue aussi du jus de canne, à la fois populaire et désormais prestigieuse.
Le tafia, rhum léger non vieilli, souvent destiné à la consommation locale.
Tous ces alcools partagent une origine commune : la canne brute, le feu, l’imaginaire populaire.
Un héritage toujours vivant dans le rhum artisanal
Au fil du temps, le mot Guildive est devenu synonyme de rhum artisanal produit dans les anciennes colonies françaises, notamment aux Antilles. Il incarne un savoir-faire ancestral, transmis de génération en génération, autour de la distillation du jus frais de canne à sucre.
Le Guildivier désignait alors le distillateur, comme le cuisinier cuisine ou le boucanier « boucane » (fume) les viandes.
La Guildiverie était quant à elle la distillerie, un terme qui subsiste encore aujourd’hui, notamment en Haïti, pour désigner les lieux de production de rhum traditionnel.
Revaloriser la guildive aujourd’hui, c’est rappeler les racines d’un rhum identitaire, artisanal, lié au terroir et à l’histoire. C’est résister à l’uniformisation industrielle en célébrant les mots, les gestes, les récits oubliés.
C’est aussi, à La Guildiverie, faire revivre un mot chargé de poésie, de sel, de mémoire. Un mot qui dit plus qu’un simple alcool : il dit une culture, un combat, une création.